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Des dynamiques structurelles animent la planète sucre : deux milliards d’habitants en plus depuis le début de ce siècle qui sont venus s’installer à la table alimentaire du monde, une production de cannes et de betteraves qui demeure conditionnée par des réalités géographiques et agronomiques. Devons-nous ici rappeler que les superficies mondiales, cultivées avec ces deux plantes végétales, représentent à peine une demi-France hexagonale ? Un confetti à l’échelle du globe. En somme, la demande de sucre n’a jamais été aussi élevée dans l’Histoire, mais la capacité à en produire demeure conjuguée au conditionnel. Instabilités sécuritaires, changements climatiques, insectes nuisibles déterminés à passer à l’attaque, mais aussi accélération des transitions énergétiques. La betterave, pour ne prendre qu’elle, est appelée à la rescousse pour sortir du tout fossile, incarnant à sa manière ce que l’agriculture donne à la bioéconomie. Mais les planteurs, en Europe et en France, restent tout autant attendus sur le terrain alimentaire. Autrement dit, leurs missions s’amplifient. À grands traits, voilà pour le structurel.
Le conjoncturel, ce sont les volatilités en tout genre. Des prix du sucre qui valsent sans rythme soutenable, des politiques contradictoires qui s’entrechoquent, des consommateurs généreux en contradictions… La liste pourrait être plus longue, d’autant que nous souffrons d’un mal profond : le diktat du temps court. Résultat : nous succombons parfois à l’anecdotique, au lieu de regarder le stratégique.
Le stratégique, c’est par exemple le dossier de l’Ukraine. Depuis neuf ans, la guerre dans ce pays, que la Russie génère sans sourciller, fragilise un état majeur du continent européen, au point que son territoire et sa société en soient tragiquement déchirés. L’Union européenne ne peut tourner le dos et se montrer indifférente à cette dynamique, si proche et si complexe. La proximité nous oblige, mais la lucidité doit également nous guider. Aider l’Ukraine, comment hésiter ? Mais l’UE doit défendre à la fois des valeurs et ses intérêts. Ouvrir la porte à Kiev et à une future adhésion ne saurait être mené dans la précipitation et l’impréparation. Les forces agricoles de ce pays sont une découverte pour beaucoup, pas pour celles et ceux qui sont dans le secteur et doivent donc travailler avec les pouvoirs publics pour examiner où se situent les risques, en termes de distorsion, qu’elle soit de nature économique, normative et, disons-le sans détour, de gouvernance. Les tonnes de sucre ukrainiennes qui circulent dans le marché communautaire sont-elles pleinement légitimes ? Sont-ce des flux bien évalués et articulés ?
Il faudra aussi, simultanément, réfléchir aux opportunités. L’Ukraine dans l’UE, c’est potentiellement augmenter la puissance agricole de l’Europe. À condition que cette dernière ose enfin penser et agir comme étant véritablement puissante, car unie sincèrement et stratège géopolitiquement. Faire entrer l’Ukraine dans l’UE sans renforcer le narratif de puissance européenne n’aurait que peu de sens avec l’Histoire. Cela veut dire que ne pas le faire peut favoriser une tension grandissante entre états membres, d’autant si l’on passe d’une séquence où, pendant plusieurs années, l’Ukraine est massivement aidée à une autre période où, soudainement, l’adhésion de ce pays deviendrait un problème, une menace. Vous soutenez, puis vous vous plaignez. Un discours audible, mais inintelligible. Rien ne dit par ailleurs que l’Ukraine agricole voudra entrer dans une UE qui tâtonne sur son ambition en la matière. Les acteurs du sucre en Europe ont assurément beaucoup de choses à se dire et à savoir retranscrire dans les prochains mois. La France doit jouer un rôle essentiel dans cette articulation stratégique, où agriculture et politique, comme toujours, devront veiller à bien se combiner.
*Il vient de publier Géopolitique du sucre. La filière française face à ses futurs, avec Thierry Pouch, IRIS Éditions, 2023.
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