Après trois ans de crise sur le marché du sucre européen avec des prix inférieurs à 400 €, qu’a fait la Commission européenne pour accompagner la filière dans cette période qui a vu l’effondrement des revenus betteraviers et la fermeture de plusieurs sucreries ? Des réunions d’experts à haut niveau dont les conclusions s’évaporèrent sitôt le rapport paru ? Lancer une étude sur la gestion des risques dont les conclusions interviendront trois ans après le début de la crise et alors que le marché mondial se réinscrit dans une dynamique positive ? Promouvoir un Green deal dont l’étude d’impact réalisée par le département de l’Agriculture des États-Unis – l’USDA – pointe une décroissance inquiétante pour notre secteur ?
Tout cela est vrai. Mais, plus grave encore, tout au long des discussions sur le règlement OCM, la Commission a opéré une obstruction systématique sur les demandes des betteraviers européens de permettre au sucre d’être éligible à l’intervention publique.
Avec le Brexit, notre exposition au marché mondial est structurellement renforcée et croire que notre marché européen va être exempt de crise à l’avenir est de bien courte vue.
Comment comprendre les arguments fallacieux de la Commission européenne sur le coût budgétaire de ce type de dispositif, les questionnements nutritionnels pour délégitimer un filet de sécurité, ou encore les questions de compatibilité avec l’Organisation mondiale du commerce quand cet outil subsiste dans d’autres secteurs exportateurs (blé et lait par exemple) ? Comment accepter cette posture quand, pas plus tard qu’en janvier 2019, Phil Hogan, alors commissaire à l’Agriculture, vantait les mérites de l’intervention pour protéger les agriculteurs et gérer la crise du lait ?
Comment accepter cette posture quand la plupart des grands pays sucriers mondiaux disposent de filets de sécurité ? Il nous faut toutefois remercier les parlementaires européens, et les Français en particulier, qui ont porté ce sujet avec courage. Notre ministre de !’Agriculture s’est également fait le porte-voix de cette question au sein du Conseil, sans pouvoir en emporter le consensus.
Au niveau de notre filière, sucriers et betteraviers français portèrent le dossier. Mais nous regrettons amèrement que, la veille du trilogue, le CEFS – syndicat des sucriers européens – ait retiré son soutien au dispositif pour se mettre en travers. Là encore, incompréhensible ! Comment le syndicat des sucriers européens peut-il avoir une position différente des sucriers français ? Quelle est la cohérence de cette organisation qui avait défendu ce dispositif dans le cadre de sa contribution au groupe de haut niveau ? Cela reflète-t-il une stratégie à la Pyrrhus de certains sucriers qui attendent la prochaine crise pour faire craquer leurs concurrents sur le dos des betteraviers ? La profession betteravière devra s’en souvenir le temps venu.
Cela étant dit, projetons-nous vers l’avenir. Nous avons mis le pied dans la porte. La Commission, le Parlement et le Conseil se sont entendus pour rouvrir le dossier à l’issue du rapport sur la gestion des risques, qui sera rendu au dernier trimestre 2021. La filière française et européenne devra être au rendez-vous. Comme ce qui s’est passé dans le domaine du lait à l’issue de la libéralisation, il est probable qu’un « paquet sucre» soit nécessaire. La CGB et la Confédération Internationale des Betteraviers Européens ( CIBE) seront au rendez-vous de ces discussions, mais il reviendra à chacun d’assumer ses responsabilités pour que le discours de souveraineté puisse s’ancrer dans notre réalité betteravière.