La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) a présenté le 30 novembre un premier bilan de la récolte 2022. Cette année est une bonne illustration de l’incertitude qui règne dans la plaine betteravière. Alors que les betteraviers font face depuis plus de quatre ans à une succession de crises (effondrement des cours du sucre, prix de betteraves en berne, fermeture de 4 sucreries avec disparition de deux bassins betteraviers, jaunisse virale, aléas climatiques) l’année 2022 était prometteuse tant au plan agronomique qu’économique, laissant enfin entrevoir des signes de reprise.
Pourtant, malgré un bon développement des betteraves au printemps, une sécheresse sévère est venue doucher les espoirs d’un bon rendement. La CGB accompagne au quotidien ses adhérents pour sécuriser l’avenir suivant trois axes majeurs :
1. L’encouragement des surfaces cultivées par des prix rémunérateurs
2. La préservation des moyens de production
3. La préparation de l’avenir
Campagne 2022 : une sécheresse venue stopper une croissance des betteraves, pourtant bien partie
Après le virus de la jaunisse qui a détruit un tiers de la récolte en 2020, un gel hors normes en 2021 nécessitant de re-semer 55 000 ha, c’est une sécheresse sévère qui est venue stopper la croissance des betteraves en 2022 : le rendement moyen s’annonce en dessous de la moyenne 5 ans, à 80 tonnes par hectare (contre 87 tonnes / ha en en moyenne 5 ans, hors année 2020) avec de très fortes disparités entre et au sein des régions. Avec 400 000 ha de betteraves semées au printemps (contre 410 000 l’an passé), ce sont 32 millions de tonnes de betteraves (loin de la production record de 46 millions de tonnes de 2017) qui seront transformées dans 21 sucreries pour une durée de campagne réduite à 96 jours, avec un démarrage plus tôt que d’habitude.
Dans un contexte énergétique très tendu en prix et en disponibilité, plusieurs fabricants de sucre ont fait le choix d’anticiper le démarrage de campagne et de proposer un barème d’indemnisations revalorisées aux planteurs volontaires pour des arrachages précoces ayant démarré début septembre.
Ces revalorisations ont permis de préserver le revenu des planteurs et les outils industriels ont pu s’adapter au contexte énergétique incertain, dans un esprit de responsabilité.
1. Encourager les surfaces par des prix rémunérateurs et des outils de sécurisation
Prix de betteraves : des annonces encourageantes
Après 4 années de prix en berne, le prix de betteraves reprend enfin des couleurs. Après plusieurs demandes de la CGB aux industriels, ces derniers ont fini par faire des annonces encourageantes, conduisant à un prix moyen supérieur à 40 €/t de betteraves, en écho à des marchés redevenus rémunérateurs (sucre, éthanol et pulpe). Cette hausse de prix de betterave est plus que nécessaire au regard des coûts de production betteraviers qui subissent une très forte inflation avec la hausse du prix des engrais et des carburants : 16% en 2022 et de 35% en trois ans (en 2023), par rapport à 2020. Etant donnée l’incertitude sur les rendements, globalement décevants ces dernières années, le prix d’achat des betteraves devient plus déterminant que jamais. Au-delà d’un prix attractif, qui reste un élément essentiel pour assurer la pérennité du revenu betteravier et de la filière, une contractualisation rénovée avec l’aval, permettant de répercuter les hausses de coûts est un élément important. De ce point de vue, l’intégration de notre filière à Egalim 2, avec la publication en juin par l’interprofession d’indicateurs pertinents pouvant être pris en compte dans les contrats, est susceptible de favoriser une meilleure valorisation du sucre. Un bilan destiné à mesurer la pertinence du dispositif sera établi.
PAC 2023 : ce qui change pour la betterave
D’autres sujets pourraient impacter les prix et les surfaces de betteraves à l’avenir. Prenons la PAC 2023, dont les principaux changements porteront sur les écorégimes et la conditionnalité. Sur les écorégimes, la CGB a réussi à faire reconnaitre les particularités de la betterave par rapport aux céréales de printemps : cette notion, simple, a fait gagner 1 point d’écorégime pour 44 % des betteraviers français ! Et pour la conditionnalité, le travail mené avec les associations spécialisées de la FNSEA a permis de limiter les contraintes supplémentaires : pas de changement sur les couverts en zone vulnérable et une rotation obligatoire à la parcelle sur 35 % des surfaces.
La CGB, accompagnée de la FNSEA, demande désormais au Ministère d’accélérer la communication sur les modalités d’application de cette nouvelle PAC qui rentrera en application dès 2023 !
Concrétiser les outils de sécurisation
L’incertitude sur l’avenir de la production est une réalité et de nombreux planteurs s’interrogent quant à sa poursuite. Il leur faut sécuriser au maximum économiquement une culture fragilisée. Depuis 2017, l’expérience de la libéralisation des marchés et de la production « sans filet de sécurité » a montré ses limites. Le maintien des bassins de production et de l’industrie sucrière française dans les territoires devra passer par la mise en place d’outils de régulation, de systèmes assurantiels, de protection des revenus. Un revenu trop fluctuant depuis la fin des quotas n’a fait que renforcer leurs inquiétudes. C’est pourquoi, la CGB travaille depuis des années sur un outil qui puisse maitriser la fluctuation du revenu betteravier. L’ISR, l’instrument de stabilisation des revenus, imaginé et porté par le syndicat, va être expérimenté en 2023 en Ile-de-France et dans le Grand Est.
C’est un levier de la résilience de la filière betterave qu’il nous faut tester, en complément de l’assurance récolte.
La CGB salue d’ailleurs la refonte de l’assurance récolte mise en œuvre par le Gouvernement. Aux côtés de la FNSEA, la CGB a œuvré à la rendre plus attractive : dès le 1er janvier prochain, les betteraviers pourront bénéficier d’une assurance récolte subventionnée à 70%, contre 65 % actuellement, et qui se déclenchera dès 20% de pertes, contre 25 ou 30% actuellement. En cas de perte au-delà de 50%, c’est la solidarité nationale qui prendra le relais, à hauteur de 90% des pertes. C’est une avancée majeure pour la résilience des exploitations agricoles !
2. Préserver les moyens de production : une priorité absolue
Vaincre la jaunisse : un fléau pour la betterave
Les moyens de production garantissent la rentabilité de la culture betteravière tant au niveau agricole qu’industriel ! La CGB s’est battue pour les préserver, avec en premier lieu l’obtention du renouvellement de la dérogation des néonicotinoïdes pour les semis 2022. Cette dérogation demeure hélas assortie de fortes contraintes sur les successions culturales qu’il n’a pas été possible d’alléger, en dépit de demandes répétées et du travail fourni par plusieurs instituts techniques dont l’ITB. La CGB déplore que la gestion des successions culturales, des intercultures et des assolements soit devenue un véritable casse-tête pour les betteraviers.
Il faut toutefois rester optimiste car, à moyen terme, cette culture a des perspectives encourageantes. Les semenciers annoncent l’arrivée prochaine des variétés tolérantes à la jaunisse, des innovations seront disponibles dès 2023 pour faciliter le désherbage. Enfin, le lancement fin 2020 du Plan National de Recherche et d’Innovation (PNRI), doté de 20 M€ dont 7 M€ de fonds publics, a pour vocation de fédérer recherche publique et acteurs privés afin de trouver des alternatives pour lutter contre les pucerons et la jaunisse. Ce PNRI est porteur de solutions potentielles, mais elles doivent faire la preuve de leur efficacité, d’une mise en œuvre simple et à coût compétitif. A ce jour, il n’est pas encore démontré qu’elles seront efficaces dès 2024, afin de prévenir le risque d’impasse technique. La CGB va concentrer son action dans un premier temps sur le court terme en s’attelant à reconduire la dérogation des néonicotinoïdes en 2023, faute de solutions alternatives efficaces et économiques et ensuite mettre au point avec l’Etat des solutions adaptées pour passer le cap des année 2024 et 2025.
Éviter l’impasse technique
La CGB continue aussi à se battre au quotidien pour préserver les moyens de lutte contre les maladies, les ravageurs et les adventices : de nombreuses molécules sont menacées mais nous continuons de réaffirmer le principe de « pas d’interdiction sans solution » ! La CGB travaille ainsi avec les différentes firmes engagées dans la protection de la culture, biocontrôle inclus, tant pour préserver une palette d’outils efficients que pour la compléter à l’avenir. De même, le projet de règlement européen SUR publié par la Commission en juin dernier doit être revu : il vise à réduire drastiquement l’utilisation de produits phytosanitaires (-50% d’ici à 2030) sans étude d’impact et sans tenir compte des multiples interdictions récentes de produits jugés les plus impactants pour l’environnement. Cette demande fait
partie de celles portées directement auprès du Commissaire européen Wojciechowski lors du congrès de la CIBE (confédération européenne) en juin 2022 et lors d’une réunion de travail en octobre dernier avec une délégation européenne de présidents de syndicats betteraviers.
L’arrivée des variétés de Betteraves bas-intrants
La CGB accompagne aussi l’arrivée sur le marché français en 2023 de variétés de Betteraves bas-intrants herbicides, qui vont permettre de réduire de moitié le nombre de traitements et pourront redonner de l’attractivité à la culture de la betterave. Plus généralement, comment espérer avancer à marche forcée vers une réduction d’intrants en se privant de puissants moyens pour accélérer la recherche de nouvelles variétés résistantes ou tolérantes aux maladies, aux bioagresseurs et aux aléas climatiques ?
La France et l’UE doivent légiférer et autoriser l’utilisation des nouvelles techniques génomiques afin de démocratiser l’accès à ces technologies et fournir à nos semenciers des moyens supplémentaires pour accélérer l’innovation en matière de sélection variétale.
3. Préparer l’avenir et miser sur les débouchés
Au-delà de fournir aux betteraviers une panoplie cohérente d’outils de gestion des risques (économiques, climatiques voire sanitaires à l’avenir) la CGB est également soucieuse du développement des débouchés. Alors que des planteurs s’interrogent sur la place de la betterave dans leur assolement, la CGB met tout en œuvre pour restaurer la confiance et donner la visibilité dont ils ont besoin aux plans économique et réglementaire.
Alcool et bioéthanol : des marchés porteurs
Une forte baisse de consommation du débouché alcool-éthanol avait été observée (-13%) après la crise Covid en 2020. Pour autant, la flexibilité de la filière a permis grâce à l’alcool de betterave la production de gel hydroalcoolique, essentielle en cette période. L’année 2021 a été marquée par une reprise de la consommation globale de bioéthanol après la crise sanitaire. Cette forte hausse de la consommation de l’éthanol est de l’ordre de 21%, dépassant les volumes d’avant crise de 4,5%.
Cette croissance s’explique par deux facteurs :
– Le SP95-E10 poursuit son essor (+13,8% par rapport à 2019) avec 99% du parc automobile essence français 2022 compatible avec ce carburant maintenant disponible dans 73% des stations-services.
– Le Superéthanol-E85 a lui aussi connu une croissance sans commune mesure (volumes attendus en hausse de 80% en 2022). Une visibilité médiatique très forte, un prix très compétitif (moins de 0,80€ par litre), la facilité pour convertir un véhicule essence avec l’installation de boitiers homologués ou pour trouver une station (plus de 3000 aujourd’hui), sont les ingrédients du succès de ce carburant plus vert, qui a fait sensation sur le dernier Mondial de l’Auto à Paris en octobre. Des aides régionales et départementales de plus en plus nombreuses sont également proposées pour aider les Français à convertir leurs véhicules et passer au Superéthanol-E85.
Au plan réglementaire, les discussions du trilogue ont abouti au maintien du plafond de 7% d’incorporation sur les biocarburants de 1ère génération. Enfin, les dernières discussions sur le « zéro émission » de CO2 des véhicules thermiques d’ici 2035 laissent entrevoir la possibilité d’utiliser des biocarburants. On notera également, que ces mesures devront s’appuyer sur une méthodologie basée sur une analyse de cycle de vie pour tous les véhicules, même électriques, comme la filière française du bioéthanol le demande, de manière à démontrer l’intérêt de véhicules hybrides et flex-E85.
La pulpe de betterave prend de la valeur
La pulpe reste plus que jamais un élément important de l’économie betteravière : entre l’augmentation des coûts de l’énergie, défavorable à la déshydratation, les cours élevés des matières premières utilisées en alimentation animale et la montée en puissance de la méthanisation, la valorisation de la pulpe progresse. Elle doit être optimisée, dans une logique territoriale, en fonction de la présence ou non d’élevage, de la situation des sites industriels ou encore des volontés entrepreneuriales de chaque agriculteur. N’opposons pas les modèles, mais au contraire accompagnons leur diversité.
Le carbone : un sujet qui monte !
Les grandes cultures ont développé une méthode grandes cultures « label bas carbone », labellisée par l’Etat. Dans quelques mois, les producteurs certifiés pourront ainsi proposer des crédits carbones
sur le marché de la compensation volontaire et en faire une nouvelle source de revenu.
CONCLUSION
Dans un contexte géopolitique complexe, la filière betterave-sucre-alcool est stratégique pour la France, notamment pour contribuer à son autonomie énergétique, alimentaire et sanitaire (gel hydroalcoolique notamment) contribuant ainsi à sa souveraineté. C’est ce qui sera démontré lors de la table ronde organisée le 8 décembre 2022. Les résultats du sondage IFOP présentés à cette occasion viendront appuyer et enrichir le débat.
« Anticiper « l’après-2023 » et mettre en place des solutions contre la jaunisse seront les priorités pour rassurer les planteurs et les accompagner dans la poursuite de la culture. De nombreux défis restent à relever pour maintenir nos moyens de production et la juste valeur de notre culture dans nos exploitations ». Franck Sander, Président de la CGB