Résumé de la table ronde – “Quels leviers pour sécuriser le rendement betteravier ? ”, organisée à l’occasion de l’assemblée générale
1. Les explications à l’évolution du rendement betteravier
Du côté des semenciers, on relativise cette courbe. En effet, le plafonnement des rendements est une tendance générale de l’agriculture européenne, qui s’observe également pour d’autres cultures. Malgré les efforts de recherche consentis, nous sommes confrontés aux conséquences du changement climatique, avec des à-coups liés aux maladies, aux ravageurs, mais aussi du fait du changement des pratiques agricoles, avec l’évolution du contexte économique et réglementaire (et notamment la disparition régulière de solutions chimiques).
A noter que l’effort de recherche n’a pas diminué, il s’est amplifié au contraire : la betterave sucrière est la culture qui bénéficie de l’investissement le plus fort, en matière de sélection, ramené aux surfaces cultivées.
Du point de vue des planteurs, on constate que la betterave est devenue une culture à risque, avec un rendement plus irrégulier, alors que les charges sont en augmentation constante et sont beaucoup plus prévisibles.
Corteva, représentée par Séverine JEANNEAU, souligne l’importance que revêt désormais la gestion du risque associée à une culture. Face aux retraits des molécules, le temps de la recherche ne peut suivre le rythme imposé par des décisions réglementaires toujours plus rapides.
D’un point de vue scientifique et agronomique, l’ITB rappelle que l’évolution de rendement que nous connaissions jusqu’en 2010 était due pour moitié à la génétique (+1% par an) et pour l’autre moitié à l’évolution des techniques culturales.
Cela s’est notamment traduit par une amélioration du calendrier de production du sucre, dans la betterave : quand la moitié de la richesse de la betterave était acquise entre les semis et le 31 juillet dans les années 1980 (4 tonnes de sucre par hectare avant le 31 juillet, 4 tonnes de sucre de plus à l’arrachage), cette proportion est passée à deux tiers de production de sucre au 31 juillet (du fait de l’avancement de la date des semis, également), et un tiers du 1er août à l’arrachage (lui aussi retardé), pour établir une production moyenne de sucre de 14 tonnes par hectare, pendant la décennie 2010. Cette évolution du rendement a été également favorisée par le changement climatique, et l’augmentation moyenne des températures, plutôt concentrée au printemps.
En revanche, depuis 10 ans, les évènements climatiques défavorables sont plus fréquents : gelées tardives en 2021/2022, 6 sécheresses sur les 9 dernières années. Face à la multiplication des bioagresseurs, moins de moyens sont disponibles pour les traiter (charançons, pucerons, cercosporiose).
Pour l’ITB, la conclusion est donc sans appel : contrairement aux politiques menées, il faut donc plus de matières actives ou plus d’alternatives, et il faut prendre le temps de la recherche.
Cette conclusion fait écho à une question de la salle, posée par un planteur : quid du retrait effectif des substances actives, s’il s’avère, travaux à l’appui (PNRI, plan Ecophyto…) que les alternatives sont inexistantes ? Le représentant de la DGAL, après avoir rappelé l’engagement fort de la Première Ministre au salon de l’agriculture en 2023 (« Plus d’interdiction sans solution ») a rappelé l’impératif bruxellois, qui parfois, s’impose aux Etats membres : si cela semble traduire la fin de la position de la France « première de la classe », en avance de phase sur le retrait des substances actives, force est de constater que nous sommes encore loin d’un Ministère de l’agriculture en première ligne sur la défense des moyens de production, notamment sur la scène européenne.
D’un point de vue technique, l’ITB a ensuite apporté des éléments permettant de comprendre la relative déception de cette campagne 2023, avec des poids racine certes importants, mais des richesses particulièrement faibles.
Plusieurs facteurs se sont combinés, à commencer par des semis tardifs, réduisant d’autant la croissance de la plante, puis une pluviométrie surabondante depuis 20 juillet, suivie d’une explosion de la cercosporiose, obligeant la betterave à puiser dans ses réserves, donc à diminuer sa richesse, pour remplacer les feuilles brunies, incapables de synthétiser le CO2 de l’atmosphère. Enfin, est évoqué un mécanisme encore assez peu maitrisé, qu’est la minéralisation du sol, à savoir le bilan azoté de la culture : au-delà d’un certain seuil, une minéralisation longue et tardive entraîne une diminution de la richesse. Et pour conclure sur l’impact du changement climatique, qui n’a pas que des effets favorables sur la betterave : les températures moyennes relativement chaudes observées la nuit n’ont pas permis à la betterave de se reposer, elle a donc continué à respirer, mais en l’absence de la lumière du soleil, c’est sur son propre stock de carbone, le saccharose, qu’elle a puisé l’énergie nécessaire, et donc encore un autre facteur de baisse de richesse.
2. Prospective et pistes pour sécuriser le rendement betteravier
Il est rappelé que des solutions sont en train d’émerger et ce n’est qu’une question de temps pour qu’elles deviennent opérationnelles.
Un focus est fait par les différents intervenants sur les leviers à disposition pour mieux garantir les rendements.
Contre la jaunisse, différents moyens d’action sont mis en avant.
La recherche d’une part, à travers la sélection variétale, très encourageante, même si elle n’a pas encore abouti à des variétés tolérantes pour les semis 2024 et les moyens de lutte autres.
Concernant l’innovation variétale, il est rappelé que l’écart de rendement actuel entre une variété tolérante à la jaunisse et une variété standard est de l’ordre de 15%. Cet écart devrait être comblé autour de 2026 ou 2027. Pour autant, il ne s’agit là pas encore de variétés résistantes à la jaunisse, car en cas de jaunisse sévère, la perte de rendement avoisine les 20% sur ces variétés tolérantes. Mais ces 20% de pertes font mieux que les 35 à 50% de pertes constatées sur des variétés standards, en cas de jaunisse sévère. Le temps est donc à la recherche, qui progresse de plus en plus vite, mais les années nécessaires à l’élaboration de variétés résistantes (donc assurant un même niveau de rendement que les variétés standards) vont exiger une vigilance accrue sur l’arrivée des pucerons, et donc un maintien des substances actives.
Concernant les autres moyens de lutte promus à travers le PNRI, il n’existe à ce jour aucune solution opérationnelle. Qu’il s’agisse des composés organiques volatiles (Agriodor notamment) ayant pour but d’attirer ou de reposer les bioagresseurs, des plantes compagnes, dans le même but, ou encore de l’infestation du puceron par un champignon, ces solutions présentent des résultats concluants en laboratoire, mais des écarts-type bien trop importants en plein champ.
La poursuite du PNRI, annoncée par le ministre de l’Agriculture à Betteravenir, va permettre d’intensifier les moyens alloués à la recherche et à l’expérimentation, pour accélérer l’opérationnalité des solutions les plus prometteuses, notamment à travers la multiplication des tests en plein champ, via le réseau des Fermes Pilote d’Expérimentation (60 à ce jour).
On ne peut donc à ce stade se reposer sur aucune de ces solutions, d’où la nécessité de se tourner sur les solutions chimiques encore à disposition, que sont le Teppeki et le Movento.
Face à ce constat en demi-teinte, la CGB se dit déterminée à maintenir les moyens de production phytosanitaires nécessaires pour atteindre cette transition, tout en rappelant que 15% de pertes de rendement potentielles sont très impactantes aujourd’hui, eu égard au niveau des charges, de l’ordre de 3 000€ l’hectare.
Un tour d’horizon des autres maladies, présentes et à venir, est ensuite réalisé.
Les avancées en matière génétique sont là (notamment pour la cercosporiose, qui est un sujet traité, modulo la disponibilité des semences de variétés résistantes), mais de nouveaux défis arrivent, amenés par les cicadelles, vectrices de maladies non encore implantées en France.
L’ITB rappelle ces quatre recommandations pour lutter au mieux contre la cercosporiose :
✔️Choisir une variété tolérante (notation au-delà de 1 dans le cahier de l’ITB du Betteravier Français Spécial semences), pour les arrachages tardifs, à savoir au-delà du 20 novembre : avant cette date, même si la cercosporiose se déclare, elle ne fera pas de dégâts sur la richesse.
✔️Prendre une variété dite « Cerco + », en présence d’un risque avéré et récurrent de cercosporiose (notation au-delà de 2).
✔️Utiliser de l’Airone, seul traitement à base de cuivre autorisé sur betterave
✔️Alterner les matières actives, en plus de l’Airone.
Le syndrome de basse richesse (SBR), qui avait affecté la production de betterave en Bourgogne dans les années 1990, est réapparu en Allemagne et en Suisse, et peut entraîner une baisse de richesse jusqu’à 7 points. La solution génétique existe déjà en Allemagne (50 à 60 000 ha sont concernées), nous sommes désormais dans la phase de rattrapage des rendements pour ces variétés.
Autre maladie, le Stolbur, identifiée en Allemagne également, qui est également transmise par une cicadelle, est provoqué par un phytoplasme. La racine prend un aspect caoutchouteux et rend la betterave non marchande. La maladie est assez circonscrite à ce jour, mais les cicadelles vont contribuer à son expansion, il va donc falloir utiliser les connaissances acquises sur ce même parasite, en pomme de terre, pour travailler plus vite à une variété élite en betterave, qui combinera toutes ces résistances, combinée à un rendement élevé.
Pour ce faire est évoqué le sujet des Nouvelles Techniques de Génomique (NGT). Actuellement en discussion au Parlement européen, ces techniques nécessitent un cadre harmonisé, pour cesser d’être traitées sous la réglementation très lourde des OGM. La France est favorable à une distinction des variétés issues de ces techniques en deux catégories : la première, assimilée aux variétés conventionnelles, en raison des techniques utilisées et du faible nombre de modifications apportées à la variété initiale, sera soumise à un process de validation allégée. La seconde en revanche, dont font partie les Variétés Tolérantes aux Herbicides (VTH), sera soumise au processus le plus lourd d’approbation, obérant largement leurs chances de mise sur le marché. Le ministère de l’Agriculture apprécie les innovations variétales sous l’angle de la souveraineté alimentaire évidemment, mais également à travers leur durabilité pour l’agriculture : les VTH n’allant pas dans le sens d’une réduction de l’utilisation des produits de protection des cultures, et pouvant amener des résistances non contrôlées si utilisées de manière inconsidérée, cela a conduit à cette décision, malgré des chiffres largement en faveur de ces variétés (en 2023, 600 à 700 000 ha de betteraves dans le monde étaient des VTH, sur les 4 Mha de sole betteravière mondiale).
L’ITB rappelle que malgré la non-inscription de ces variétés au catalogue français, l’interprofession de la betterave a pris ses responsabilités autorisant l’utilisation de variétés inscrites au catalogue européen. Il est par ailleurs rappelé les conditions précises dans lesquelles ces variétés doivent être choisies : en présence de betteraves sauvages ou montées, pour les problèmes de désherbage importants ou encore pour ceux souhaitant baisser leur IFT, car engagés dans une démarche HVE, par exemple. Le tout en rappelant que cette technologie Conviso doit être utilisée avec précaution (charte de durabilité), après un calcul de rentabilité éclairé (+120 € l’unité environ, par rapport à une variété classique), toujours en adjonction d’une autre substance active, et jamais sur des parcelles présentant des graminées résistantes.
Les semenciers rappellent par ailleurs que ces NGT ne seront pas la solution miracle à l’innovation variétale, mais qu’il s’agit seulement d’un outil de plus à leur disposition. Le temps de la recherche étant ce qu’il est, les premières variétés issues de ces techniques, si le texte européen est bien adopté au printemps, ne seront commercialisées que dans 6 à 7 ans, d’où la nécessité de maintenir les solutions efficaces à ce jour, que sont les solutions chimiques.
Pour conclure sur une note positive, est évoquée l’innovation en matière d’herbicide de la maison Corteva, le « R », qui constitue une nouvelle famille chimique d’herbicide, et qui a une efficacité démontrée sur chénopode, ombellifère, matricaire et mercuriale. Ce produit pourrait s’intégrer en lieu et place du Bétanal, dans le classique BTGV, pour en faire un RTGV, au rayon d’action très large. Le phenmédiphame, substance active du Bétanal, est actuellement sous procédure d’examen complémentaire par l’EFSA, l’organisme de santé européen, et risque donc de disparaitre à court ou moyen terme.